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Manuel Sanson - le 29/08/2022 à 12h44
Mis en cause par la justice dans le cadre d'une information judiciaire ouverte pour trafic de stupéfiants, la maire de Canteleu, ainsi que son adjoint au développement économique, voulaient bénéficier du soutien financier de la collectivité pour assurer leur défense. Le représentant de l'Etat a vu rouge et les deux élus ont finalement retiré leur demande. Quand ça ne veut pas, ça ne veut pas. Mis en examen pour complicité de trafic de stupéfiants, Mélanie Boulanger, maire PS de Canteleu, et Hasbi Colak, adjoint au développement économique, - une affaire précisément documentée par Le Poulpe - entendaient bénéficier, dans le cadre de l’enquête en cours, de la protection fonctionnelle, dispositif qui permet de faire prendre en charge par la collectivité les frais juridiques engagés pour la défense d’élus ou de fonctionnaires. Mais, dans le cas d’espèce, Pierre-André Durand, préfet de Seine-Maritime, s’y oppose et demande le retrait de deux délibérations votées en juin dernier. Ce devrait être fait à l’occasion du conseil municipal de rentrée qui se tiendra en septembre. L’affaire s’est nouée au début de l’été. Tout commence le 13 juin 2022. Le conseil municipal adopte deux délibérations similaires concernant les élus mis en examen « sans que cela ne suscite de débats particuliers parmi les élus », dixit l’un des participants. La délibération prévoit « d’accorder la protection fonctionnelle à Madame Mélanie Boulanger » et « d’autoriser la prise en charge des honoraires, frais et divers liés à sa défense, estimée à un montant de 15 000 euros ». Idem en ce qui concerne Hasbi Colak. Les deux textes municipaux sont strictement identiques sauf sur un point. Celui qui concerne Mélanie Boulanger indique que le parquet de Bobigny a mis en examen la maire « à sa demande » dans le cadre de l'instruction sur un trafic de stupéfiants incriminant des cantiliens quand il est fait mention de la seule mise en examen d’Hasbi Colak. La délibération reprend ainsi les éléments de langage de la défense de l’édile mis en avant dans la presse, omettant de rappeler qu’une mise en examen n’est prononcée qu’à partir du moment où il existe, aux yeux du juge d’instruction, « des indices graves et concordants » contre un suspect. Mais ce n’est pas cet élément qui a fait tiquer la représentation de l’Etat. « Monsieur le préfet, dans le cadre du contrôle de légalité, a adressé des observations par courrier portant sur les délibérations relatives à la protection fonctionnelle de Madame le maire et de son 6e adjoint », révèle une missive adressée au coeur de l’été aux élus par le directeur général des services (DGS) de la commune. « Monsieur le préfet estime que les faits reprochés présenteraient le caractère de fautes personnelles détachables de la fonction d’élus et pourraient être qualifiés de non intentionnels », expose encore le DGS ajoutant que « les deux élus ont pris la décision de retirer leur demande de protection fonctionnelle ». « Au regard de la pénibilité de la situation, de la médiatisation à outrance, pour les principaux concernés et leurs familles, mais également pour les Cantiliens, les agents et bien d’autres personnes dont vous-mêmes, je ne saurais que trop vous demander de préserver une certaine confidentialité jusqu’à la réunion du conseil municipal de septembre », conclut le cadre territorial. Son courrier est accompagné d’une lettre signée de chacun des deux élus annonçant l’annulation de leur demande de protection fonctionnelle. Celle de Mélanie Boulanger précise encore l’analyse juridique du préfet : « Il considère que votre accord pour couvrir mes frais de défense à partir du budget de la collectivité pourrait être considéré comme du détournement de fonds publics par vous-mêmes et de recel par moi-même. » De telles infractions sont réprimées par des peines de prison ferme et des amendes par la justice pénale. « Je m’insurge bien sûr de cette prise de position, poursuit Mélanie Boulanger. Néanmoins, ma mise en examen dans l’affaire précitée, exploitée de manière abusive et inhumaine notamment par les médias, a déjà suffisamment de retentissement. Je ne souhaite donc pas prendre le risque, aujourd’hui, qu’une procédure contentieuse soit lancée auprès du tribunal administratif. » Dans leurs courriers, les deux élus font savoir qu’ils se réservent le droit de revenir demander la protection fonctionnelle à l’issue des conclusions rendues par le tribunal dans le cadre de l’affaire du trafic de stupéfiants. On notera que la maire de Canteleu, quadragénaire et mariée à Nicolas Rouly - maire du Grand-Quevilly et vice-président à la Métropole - dispose, depuis de longues années, de confortables revenus issus de mandats et d’emplois politiques qu’elle a occupés depuis ses débuts en politique dans le sillage de ce que l’on a appelé le système Fabius, en Seine-Maritime et à Rouen, un maillage politique et territorial particulièrement efficace. A titre d’exemple, Mélanie Boulanger et Nicolas Rouly ont ainsi perçu environ 100 000 euros d’argent public, en 2020, au titre de leurs différents casquettes d’élus, et, pour Mélanie Boulanger, au titre de son emploi d’assistante parlementaire de Christophe Bouillon, ex-député-maire de Canteleu. Pour l’année 2021, l’ordre de grandeur est le même. De confortables revenus donc qui, en théorie, devraient permettre à l’édile cantilienne de financer sa défense en justice. Outre ce tacle préfectoral, la maire de Canteleu devrait faire face à une rentrée politique tendue. Selon nos informations, l'hypothèse d'une démission collective d'élus municipaux afin de provoquer l'organisation d'une élection municipale anticipée est sur la table. A la manoeuvre, notamment, les élus écologistes mécontents de certaines prises de décisions sur des dossiers locaux et soutien de la Nupes lors des récentes élections législatives. Contactés par Le Poulpe, les écologistes cantiliens n'ont pas souhaité s'exprimer. Selon les textes en vigueur, il faudrait que onze élus démissionnent pour obtenir la tenue d'un nouveau scrutin. A cette heure, le compte n'y est pas. Selon nos informations, il manquerait deux élus pour que la fronde produise les effets escomptés. "Il faut travailler d'autres élus de la société civile du groupe PS pour se rapprocher du tiers des élus", glisse un élu cantilien. En parallèle, une liste municipale labellisée « Nupes » pourrait se constituer, avec le soutien d’Alma Dufour, récemment élue députée de la 4e circonscription de Seine-Maritime. Lors du scrutin législatif de juin, Alma Dufour avait, à Canteleu, largement distancé Djoudé Mérabet, candidat PS dissident soutenu par Nicolas Mayer-Rossignol, maire de Rouen et patron du PS local canal fabiusien. La parlementaire a récemment confié au Poulpe son intention de s'installer à Canteleu à titre privé. Questionnée par Le Poulpe, la députée, issue du monde associatif écologiste, indique ne pas être associée de près aux réflexions du moment et affirme qu'elle ne figurera pas sur une éventuelle liste. Elle annonce néanmoins qu'elle s'impliquera "dans la campagne en cas de nouvelle élection" qualifiant de "baroque" l'actuelle situation politique locale. La sortie de Canteleu du giron socialiste canal historique constituerait un petit séisme politique à l’échelle de la Métropole.
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