Je
relaye cet appel SOS de cette mère de famille pour son fils de
31 ans interné depuis bientôt deux ans à l'unité pour malades
difficiles du CH des Pays-d'Eygurandes à Monestier-Merlines en
Corrèze. Cette alerte est indicative de certaines prétendues prises en charge de jeunes hommes psychiatrisés qui ne devraient pas, et qui ne valent pas, d'être basculés dans de telles enceintes de haute sécurité où ils sont traités avec une rare cruauté. Merci de relayer autour de vous cette alerte. Vous souhaitant bonne réception de ce mail. Mes salutations dévouées. André Bitton, pour le CRPA (cercle de réflexion et de proposition d'actions sur la psychiatrie), 14 rue des Tapisseries, 75017, Paris. Tél. : 01 47 63 05 62. Site : https://psychiatrie.crpa.asso.fr
« Les asiles (...) ont deux tâches à remplir : la guérison de l’aliéné et la protection de la société. La seconde passe avant l’autre, car elle intéresse tout le monde et se réalise facilement. » Hervé Bazin, La tête contre les murs, 1949. À 31 ans, mon fils, Tristan, souffre d'un trouble schizo affectif grave et résistant aux traitements. Depuis mai 2023, il est enfermé à 450 km de chez moi dans une UMD "Unité pour malades difficiles ", c’est-à-dire pour les cas lourds, dont on ne sait plus quoi faire et potentiellement dangereux du fait de leur maladie. Dans les années 50, il aurait été lobotomisé. Il a été envoyé là-bas à la suite d’une TS et à cause de l’impasse thérapeutique dans laquelle se trouvaient ses psychiatres de secteur pour le sortir de sa souffrance psychique. Son gabarit impressionnant et une potentielle dangerosité liée à ses hallucinations ont également influencé cette décision.
Les UMD ont été instaurées en 1986, après plusieurs faits divers meurtriers commis par des malades, pour mettre la société à l’abri d’individus ayant fait preuve d’une extrême violence sous l’emprise de leur maladie. Tristan n'a commis aucun crime, si ce n'est d'être malade, et handicapé à plus de 80%. Or, il est soumis au même règlement carcéral, sans aucun assouplissement possible, comparable à celui d’un quartier de Haute Sécurité.
Une chambre fermée à clé sans TV, sans musique, surveillée par une caméra 24h/24. 2 heures de sport par semaine. 2h par jour d’accès à un MP3, ou à des livres. 11 cigarettes par jour qui permettent d'aller marcher dans une cour grillagée. Aucun accès à son téléphone portable depuis 21 mois. Autorisé à passer et à recevoir 2 appels de 10 minutes par semaine. Tristan mange seul dans sa chambre depuis 6 mois. Souvent mis en isolement. On lui accorde une visite de 2 heures par mois. Le visiteur est soumis à une fouille dès son entrée et son portable lui est confisqué. La visite se déroule dans une petite pièce sans fenêtre. Aucune promenade ni sortie dans la nature. 2 sorties thérapeutiques en 2 ans. Toute photo interdite.
Impuissante face à ce système dont mon fils ne devrait pas relever, mais dans lequel il est légalement pris au piège, je suis d’autant plus scandalisée par les privations de liberté auxquelles il est soumis depuis près de 2 ans, sans résultat positif sur sa stabilisation. Il n'est pas imaginable au 21ème siècle qu'on traite les « fous » de façon aussi déshumanisante. Où est le droit à la dignité des malades psychiatriques qu'on tient enfermés, privés de toute liberté élémentaire, à l'écart de la société comme aux temps les plus reculés ?
Récemment,
de nombreux articles dans les médias ont évoqué le cas du
narcotrafiquant arrêté en Roumanie. Gérald Darmanin a assuré
qu'il serait soumis à des conditions de détention drastiques.
Je n’ai pu m’empêcher de penser aux conditions de certaines
personnes qui souffrent d’une maladie mentale et qu’on
enferme plus sévèrement On envisage la création de nouvelles prisons de Haute Sécurité pour des criminels ultra dangereux. Elles existent déjà en France, et tiennent à l'écart de la société des « malades difficiles », souffrant de troubles psychiatriques. Dans l'ignorance et/ou l'indifférence générale.
Mère de Tristan PICHON (UMD 1) Fresnes le 14/11/2023 58 Boulevard Pasteur 94260 FRESNES Tél . portable: 06 64 66 20 03 e-mail : dombgx@gmail.com Mme DUPOUY Psychiatre UMD du CHP Eygurande Lieu dit la Cellette 19340 MONESTIER-MERLINES
Bonjour Docteur,
Je vous sais très occupée, mais les faits dont je souhaite m’entretenir avec vous sont suffisamment graves pour ne pas attendre notre prochain entretien téléphonique pour vous les relater.
Le samedi 4 novembre vers 16h, j’ai reçu un appel téléphonique de Tristan, le seul de sa part en 6 mois. Il m’a confié avoir dix voix dans sa tête et ne plus supporter cette souffrance. Il était désespéré et m’a dit « je suis complètement fou, on n’arrive pas à me soulager, si tu m’aimes, laisse-moi en finir avec cette vie ! »Il m’a suppliée de l’accompagner en Belgique pour être euthanasié (comme il l’avait fait auprès de vous à son arrivée).
Les soignants que j’ai alors immédiatement appelés ont relativisé sa souffrance, probablement pour me rassurer. Or, on ne peut mettre en doute sa parole. Il ne s’agit donc pas d’une invention nouvelle ou d’une manipulation mais de l’expression d’une douleur qui lui est invivable quand elle se présente.
Six mois jour pour jour après son arrivée en UMD, Tristan présente les mêmes symptômes et formule la même demande (l’euthanasie). Déjà c’est ce qui l’avait conduit à demander depuis juillet 2022, (date de sa décompensation liée à l’arrêt à sa demande,en ambulatoire, de la clozapine, sous contrôle de sa pychiatre du CMP) son hospitalisation volontaire à plusieurs reprises suppliant les médecins de le délivrer de ses voix.
Les arguments fondamentaux prévalant à son transfert en UMD étaient de soulager son extrême souffrance psychique, de prévenir le risque suicidaire grâce à un personnel qualifié et en nombre supérieur à celui du secteur, de lui proposer un cadre sécurisé nécessaire pour créer une fenêtre thérapeutique et de mettre en place un nouveau traitement moins lourd et plus adapté.
Je constate que, malgré vos efforts, l’état de Tristan demeure préoccupant. Permettez-moi, docteur, de joindre à la suite de cette lettre les questions que ces événements m’ont amenée à me poser et dont j’aimerais m’entretenir avec vous lors de mon prochain appel. Avec mes remerciements, veuillez trouver dans mes mots l’expression de ma considération.
Dominique Bergougnoux
Je me pose aujourd’hui les questions suivantes :
Pour ses hallucinations, peut-on envisager de lui donner de nouveau de la clozapine qui l’avait stabilisé durant des années ? Peut-on essayer d’autres molécules qui auraient un effet sur ce symptôme ? Peut-on envisager des solutions alternatives comme la rTMS ? la kétamine ?
On m’a parlé de programmes de psycho-éducation ou de groupes comme REV« Les entendeurs de voix » qui pourraient l’aider par la suite à gérer ses voix de façon plus sereine si les molécules ne suffisaient pas.
L’UMD semble confronté, comme hélas tous les services de psychiatrie, à des problèmes de sous-effectifs. Votre charge de travail est énorme (100 patients dont 40 en UMD), il n’y a pas eu de psychologue dans le service de mai à octobre, et le turn-over important des soignants dans le service me paraît peu propice à une prise en charge optimale. Comment dans ces conditions fournir un cadre de soins intensifs satisfaisant pour un patient en détresse comme Tristan ?
La privation de libertés inhérente à l’UMD (pas d’accès au portable par exemple) et justifiée par des profils dangereux est-elle encore adaptée et bénéfique à Tristan sur une longue période ?
Lors de la dernière réunion de la Commission Médicale Départementale le 29 octobre, vous m’avez dit que Tristan avait exprimé le souhait de rester en UMD « parce que sa vie est pourrie et qu’il recommencerait à boire s’il sortait ». Quelle est votre position à moyen et long terme, sachant que l’UMD n’est pas une fin en soi ? Quel temps d’hospitalisation prévoyez-vous avant d’envisager son retour dans l’hôpital de secteur ? Un des axes thérapeutiques choisi est de lui permettre de rompre l’état fusionnel qu’il entretenait avec moi. Il me parait en effet salutaire de l’accompagner dans sa recherche d’autonomie. Toutefois, j’ai été sa personne-ressource et de confiance depuis 15 ans et sa principale aidante. L’importance du rôle des aidants auprès des malades, psychiques en particulier, est reconnue comme essentielle dans le processus de réhabilitation. Comment faire en sorte que ce lien soit restauré dans sa dimension de soutien pour lui?
Le programme de médiation animale est très positif. Pourrait-il constituer un axe de projet ? Ne faudrait-il pas réfléchir à des solutions de centre post-cure ou de foyer thérapeutique, comme l’avait évoqué l’assistante sociale de l’UMD ? Tristan ne pourra en effet pas rentrer chez lui directement après un temps si long dans un milieu très contenant et dans lequel il apprend à vivre avec d’autres personnes. Or, je sais que les places sont rares là aussi et il serait donc indispensable d’anticiper pour qu’il ait une chance d’en avoir une le moment venu.
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