Témoin des temps, suivi d’un appel aux encore vivants
Texte de Daniel Milan, 11 février 2021, publication sur le site La Clé et le pont, 6 août 2024

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Ma mère était  » femme au foyer » végétarienne, passionnée de nature, de spiritualité, peintre amateur, à ses heures, adepte de la médecine naturelle.

Elle avait connu, notamment, Romolo Mantovani, Raymond dextrêt, pionniers de la médecine naturelle, installés à Paris, éditeurs et fondateurs respectifs des revues « l’heure d’être » et  » vivre en harmonie ».

Je suis allé quelques fois au cabinet de Romolo Mantovani accompagné de ma mère.

Il soignait avec de l’argile et par l’imposition des mains. Il ne demandait pas d’argent. On lui donnait ce qu’on voulait. Il était régulièrement poursuivi pour exercice illégal de la médecine et condamné à de lourdes amendes.


Mon père, lui, était employé ( brigadier) à la SNCF , anarchiste et syndicaliste. Il était très porté sur l’alcool et rentrait ivre presque tous les soirs. Il avait l’alcool mauvais. Il entrait dans des colères folles me tapait dessus, si je n’étais pas encore couché quand il arrivait. Il lui arrivait souvent de tout casser dans la maison, sous un prétexte quelconque.


Ma mère se mettait devant moi, pour me protéger des coups de mon père.


Il feignait être végétarien à la maison, mais mangeait de la viande en cachette, ou chez des collègues de travail.


Mon père était adorable quand il ne buvait pas, mais l’alcool le transformait en fauve.


Il avait cependant une grande qualité, il savait tout faire de ses mains, aussi bien travailler la terre pour faire pousser des légumes, que de travailler le bois et le ciment.


Il dilapidait le plus souvent l’argent de ses salaires dans les bistrots, mais ma sœur et moi, avons toujours eu de quoi manger, grâce aux légumes et aux fruits du jardin. Selon la saison, la nourriture manquait parfois de variété. Ma mère, qui n’aimait pas trop cuisiner, faisait cuire des haricots le lundi, dans une marmite, pour toute la semaine. Je vous laisse imaginer l’état et le goût des haricots, arrivé le vendredi…


Il avait construit de ses mains une maison en bois, sur un terrain situé rue des Vignes, à l’orée des bois, près de la voie ferrée de Lardy en Seine et Oise ( aujourd’hui, Essonne) .


Je me revois encore à l’âge de 5 ans, assis dans le jardin, le regard plongé dans les fleurs violettes des massifs d’Iris bordant la longue allée traversant le jardin ; en train de penser et de me projeter dans l’avenir. J’adorais aussi regarder tomber la neige, assis devant la baie vitrée de ma chambre ou suivre du regard, les oiseaux en quête d’insectes, sur la neige.


J’aimais beaucoup lire, en particulier les récits de voyages et d’histoire. J’étais aussi amateur de sciences parallèles. La bibliothèque de la maison était emplie de livres et de revues. Une amie de mes parents, m’avait abonné à « Sciences et voyages » et me donnait de temps en temps des  » Marco Polo » ( récits de voyages).

J’achetais des livres aux bouquinistes des quais et les échangeait contre d’autres chez Gibert jeune.


Mes parents ont quitté Lardy pour Etampes, en 1958. Je ne me souviens plus pour quelle raison.


Je n’ai jamais plus revu Lardy depuis.


A Étampes, nous habitions à la périphérie de la commune, dans un wagon de la SNCF désaffecté, que mon père avait acheté et placé sur le terrain. Un four, les journées d’été. Une glacière, les journées d’hiver. C’était en attendant de construire sa maison.


Il y avait beaucoup de fermes dans le voisinage. Chaque soir, j’allais chercher du lait à l’heure de la traite, muni de bouteilles ou d’un pot au lait. Une traite qui mobilisait toute la famille du fermier avant l’entrée de trayeuses électriques.


Mon père a construit une grande maison en briques, situé sur un terrain en bordure de la route, au milieu d’étendues de champs de blé ; mais s’était fait aider, tantôt par des ouvriers tâcherons portugais, tantôt, par un journalier très porté sur l’alcool.


A 13 ans, j’ai quitté l’école pour un emploi de coursier au  » courrier de la presse », une agence de coupures de presse du 21 BD Montmartre à Paris. Le boulot consistait à collecter les journaux aux rédactions de la presse parisienne et à en découper les articles ; Ensuite, j’ai travaillé comme coursier au  » ver à soie », au 102 rue de Réaumur, près des rotatives de France-Soir. Le boulot consistait à coller des étiquettes sur des bobines de fil et à les livrer, par le métro, aux grands couturiers de Paris. Souvent, j’y allais à pied pour me garder les tickets de métro que me donnait ma patronne. Puis, j’ai travaillé comme coursier rue Feydeau, près de la bourse. Là, le travail consistait à livrer des coupons de dentelles aux grands couturiers de Paris… Le directeur, Mr Gubert, qu’on rebaptisait Gugu, entre nous, derrière sont dos.

Il restait le plus souvent cloîtré dans son bureau, mais venait parfois discuter avec nous et nous raconter sa vie et ses démêlés avec son jardinier ou le couple de gardiens de sa propriété. Il avait été PDG de son entreprise, mais n’en était plus que le directeur. Il nous donnait l’impression d’en éprouver une certaine aigreur.


A, à peine 16 ans, en novembre 1963 , je suis parti en Corse , muni de l’adresse de l’ami d’un ami de mes parents et d’une lettre de recommandation. Un bastiais très chaleureux, végétarien, originaire du Cap Corse, qui possédait un magasin d’art ménager, à l’entrée du vieux marché de Bastia me reçoit, lequel m’a trouvé une place d’ouvrier agricole chez un colon de sa connaissance, rapatrié du Maroc installé à Porettone, sur la plaine orientale. Là, le dépaysement total. j’avais l’impression de me trouver dans quelque colonie à des milliers de kilomètres de la France, alors que je n’étais qu’à quelques encablures. Je taillais la vigne en compagnie d’ouvriers italiens et marocains. J’avais dû mal à suivre. Toujours le bon dernier, malgré mes efforts. Nous prenions chacun une file de vigne, les plus rapides étaient incontestablement les marocains. Nous étions dévorés par les moustiques. D’une main, je taillais la vigne, de l’autre, je chassais les nuées de moustiques. Leurs piqûres me donnaient la fièvre, mais je n’ai pas attrapé le paludisme qu’on attrapait encore à l’époque, en Corse.


Je dormais dans un hangar transformé en dortoir. Le mobilier était composé de lits de camp en fer et de couvertures militaires qui sentaient les produits chimiques sulfatés sur les vignes.


Une fois la taille terminées, l’un des fils de ce colon m’a demandé de travailler sur ses propres terres en cours de démaquisage, dans la vallée de Luzipeo sur la pleine occidentale, à 20 km de Calvi. Une route sinueuse, bordée de roches majestueuses, sculptées par la nature, avec la mer en contrebas. Un paysage grandiose, époustouflant de beauté.


J’ai passé plusieurs années en Corse, où une famille corse m’avait en quelque sorte, adopté. La corse fut mon point d’ancrage jusqu’à l’âge de 20 ans, mais il m’arrivait d’aller faire quelques escapades sur le continent.


Entre temps, mon père avait démissionné de la SNCF et vendu la maison d’Étampes, pour aller s’installer avec ma mère dans les Pyrénées orientales, où ils avaient acheté un mas.


Depuis, j’ai appris que cette maison d’Étampes, aurait été rasée pour laisser place, à la construction d’une cité HLM.


Durant chaque escapade de quelques jours à quelques mois. J’ai enchaîné beaucoup de petits boulots pour survivre, j’ai dormi dans des squats, dans des caves, dans des cartons sur les bouches de métro, dans des centres d’hébergement : la Péniche, la comète… J’ai fait la manche pour avoir des tickets de métro. J’ai aussi séjourné, de quelques jours à quelques mois dans des communautés hippies. J’ai goûté à la drogue et à l’alcool, sans y sombrer, ni y trouver quelques plaisir…


J’appris d’instinct, à anticiper les dangers de la vie et de la survie ; à éviter les magouilles et les traquenards pour m’en protéger, à reconnaître le blaireau de l’homme honnête…


En quête d’idéal, j’ai parfois fréquenté à Paris quelques groupes, aussi bien, de l’ultra gauche que de l’ultra droite, comme on dirait aujourd’hui. J’y ai aussi rencontré des gens hospitaliers et fraternels qui m’offraient un coin pour dormir…


Des recruteurs venaient régulièrement nous proposer du boulot à la sortie des centres d’hébergement. On devait quitter les lieux durant la journée. Un jour, un inspecteur d’une nouvelle société de gardiennage implantée à Paris, m’a proposé de faire un remplacement dans son entreprise . De remplacements en remplacements. Puis embauché définitivement. Je ferai ce boulot durant 40 ans, à Paris, puis à Nice, qui m’aura permis de vivre, tout en veillant, par le choix des postes, et l’organisation de mon travail, à n’être que le moins possible, dans le système. C’était vrai à l’époque, mais ce n’est plus vrai aujourd’hui. Ce travail, m’aura permis de dévorer des quantités de livres.


Ma mère, fondatrice d’une communauté végétarienne, à Serralongue, dans les Pyrénées-Orientales , en 1963, devenue végane par la suite, est décédée en Mars 2020, à l’âge de 99 ans.


https://leblogdedanielmilan.wordpress.com/2020/03/06/viviane-paquereau-fondatrice-de-la-communaute-vegan-de-serralongue-petit-village-catalan-vient-de-deceder-elle-etait-agee-de-99-ans-elle-a-ete-enterree-hier-maman-repose-en-paix/


Mon père était parti à la fin des années 60, vivre durant plusieurs années au Port, à l’Île de la Réunion, où il avait fondé un nouveau foyer. Il avait ouvert un petit bar de plage et selon les témoignages d’amis communs, il faisait une grande consommation d’alcool de riz. Malade, il est rentré vivre près de Lyon dans les années 80 où il est décédé quelques années plus tard.


Installé à Nice depuis 1970, pour sa proximité avec la Corse dont j’avais la nostalgie et où je me rendais chaque fois que je le pouvais et nourrissais le rêve de m’y installer définitivement, rêve, qui s’éloignait un peu plus, au fur et à mesure que les années passaient. J’allais souvent au port de Nice regarder les bateaux partir ou revenir de la Corse.

J’assistais à des meetings de soutien aux prisonniers politiques corses organisés par les étudiants corses de Nice. A des conférences du CUM et du GRECE ( Nouvelle Droite intellectuelle, qui développait des idées non conformistes intéressantes). Et aussi à des expositions écologistes.


J’exerçais toujours la profession d’agent de sécurité.


En 1978, j’avais fondé l’association  » « Présence Evolienne », qui comptait quelques membres. Mon but était de faire connaître la pensée de ce philosophe. Parmi mes contacts, il y avait des Frères musulmans et aussi des activistes NR de la FANE menés par un jeune étudiant en droit, dont je désapprouvai les activités, mais qui ne concernaient pas, du moins, le pensais-je, jusqu’à ce que je fusse victime d’un complot d’État qui a failli me conduire devant la Cour de sûreté de l’État. Je fus arrêté le 1er octobre 1980, présenté comme l’idéologue du groupe, je fus accusé de toutes sortes de folles et imaginaires accusations d’antisémitisme de la part de la justice, emprisonné durant 6 mois et victime d’un lynchage médiatique. Ce fut le début de ma descente aux enfers, et aussi l’abandon de toutes les illusions et de la confiance que je pouvais encore avoir à l’égard des institutions. Le doyen des juges d’instruction, devant lequel j’avais été présenté, m’a clairement dit qu’il me mettait en prison, car il me soupçonnait de lui cacher des informations, au sujet de ce que je ne savais absolument pas. Mon avocat, m’a par ailleurs rapporté qu’il lui avait dit que dans mon cas le droit ne s’appliquait pas… Il ne pouvait être plus clair…


A ma sortie de prison en avril 1981, je mis près d’un an avant de retrouver un emploi et à reprendre une partie de mes activités, sans jamais parvenir à me reconstruire totalement.

J’ai dissous mon association et cessé la plupart de mes activités. J’ai arrêté les vacances familiales en Italie et abandonné la vieille caravane que j’avais installé sur un terrain de Saint-Martin-de-Vesubie qui me servait de pied-à-terre, pour mes randonnées dans les montagnes avoisinantes, avec ma femme et ma fille.


En Novembre 1981, je me convertissais à l’islam, à la grande mosquée de la Sonacotra, dite de l’Oued.


En 1990, je divorcés de ma femme et me remariais à une jeune femme kabyle, rencontrée en Algérie, où je comptais m’installer, mais cela m’a été impossible, du fait de la guerre civile.


En 1998, je m’étais essayé au dessin, à la bulle dessinée, plus exactement, en support de mes commentaires de l’actualité, et de mes aphorismes. Mes bulles eurent un certain succès du fait de l’originalité du concept. Jusqu’à ce que l’une de mes bulles fit Pschitt, en plein milieu, d’un certain, milieu…


En septembre 2001, quelques jours après la diffusion de cette bulle, selon une procédure qui relève de la lettre de cachet, des policiers débarquent chez moi, forcent ma porte, me sautent dessus, me menottent, me strangulent à plusieurs reprises, m’empoignent pour me conduire au poste de police du quartier, distant d’une centaine de mètres et continuent de me frapper et me taserisent le dos, durant le trajet.

J’apprends que je fais l’objet d’une plainte de la part du responsable d’une une officine, ma bulle étant susceptible de contenir de l’antisémitisme…je fus mis en garde à vue durant 48 heures, et par la suite accusé du délit d’outrage et de rébellion, un classique, pour contrer ma plainte pour violences policières, et condamné. Des magistrats de Paris ont planché durant des mois sur ma bulle, mais elle ne contenait pas le moindre antisémitisme…


Les violences policières dont j’avais été victime, furent tour à tour, au gré des jugements et des arrêts, durant 8 ans de procédures, niées, minimisées ou légitimées…


Je pris ma retraite en 2007 et suis allé vivre dans le village d’Aiglun

dans les Alpes-Maritimes, où j’ai mené une vie quasi contemplative durant près de 8 ans, au milieu de la nature, sans parvenir totalement à me reconstruire…


Je suis aujourd’hui âgé de 73 ans, j’essaie de soigner au mieux au quotidien, autant que cela se puisse, mes différentes pathologies, dont les plus importantes, sont les conséquences directes des violences et répressions subies.


Les pensées soufie et Evolienne dans lesquelles, je me plonge fréquemment, m’aident à supporter le quotidien.


J’ai bien encore quelques projets « personnels », mais les années passant, je désespère de n’avoir sans doute, ni le temps, ni les moyens de les concrétiser.


Je suis l’actualité. Le monde regorge d’inégalités, d’injustices. Les violences policières sont toujours niées, ou légitimées en France. Les libertés et les droits humains sont bafoués, la censure et l’esclavage volontaire s’étendent sous de multiples formes. L’égalité entre les citoyens n’existe toujours pas. L’antiracisme est utilisée à des fins racistes et est devenu l’arme préférée des suprémacistes. Les lois établissent et légalisent et justifient toutes les injustices , toutes les inégalités et les violations du droit et des droits. Tout le monde, victimes incluses, est dans l’acceptation et la soumission.


Je crois toujours en l’existence d’une Résistance silencieuse, menée par les derniers vivants, même s’il m’arrive d’avoir des doutes sur leur existence.


Vivre en dehors du système est de plus en plus difficile, mais demeure encore possible, pour qui aspire à l’autonomie, et à l’autarcie, selon les lieux et les contextes dans lesquels on se trouve.


L’homme doit apprendre à construire sa maison, à se soigner, à cultiver ses fruits et légumes, à se protéger. L’échange de biens, de produits, de compétences doivent palier aux manques d’argent.


Daniel Milan